Il devait être la relève de l’édition de Bordeaux en perte de vitesse, le salon Vinexpo Paris qui réunissait des milliers de professionnels du milieu viticole du 9 au 12 février à la Porte de Versailles, a fait une entrée timide. Si les organisateurs se félicitent de l’évènement en annonçant 30.000 visiteurs, il laisse un goût amer pour de nombreux exposants. N’ayant pas réussi à obtenir d’accréditation presse, c’est en me procurant un badge d’exposant que j’ai pu circuler librement durant les trois jours. J’y ai suivi Christophe, représentant d’un domaine du Maine-et-Loire.
Dès le premier jour, les allées neuves du hall 7 du Parc des expositions étaient vides. Stupeur. Pour combler cet ennui les exposants ont commencé à goûter les vins de leurs voisins. Les heures défilent et Christophe veut aller voir de lui-même s’il n’est pas le seul à être touché par cette disette:
« Je peux te dire que ces mecs là s’emmerdent ! Au salon ProWein de Dusseldorf, ils n’auraient pas une minute à eux ! » en me montrant des commerciaux italiens, assis, les yeux rivés sur leurs téléphones.
En plein Brexit, le manque de visiteurs au salon a permis de rassembler les européens, sûrement plus qu’au Parlement de Bruxelles. Les allemands discutent avec les grecs, les espagnols avec les portugais, les croates avec les géorgiens, le tout formant une sorte de brouhaha d’espéranto. On s’échange des verres de vins rouges, on fait déguster son pays, c’est beau. Il ne manque plus que l’Ode à la joie de Beethoven, pour compléter ce magnifique tableau d’union des peuples européens, que même Robert Schuman n’aurait imaginé.

Au soir du premier jour, Le Point annonce une estimation de 30.000 visiteurs sur les trois jours, les éditions de France 3 régions vantent une franche réussite de l’évènement.
Christophe me murmure « j’attends les articles, dans le milieu il y a un côté union soviétique où l’on enjolive la réalité »
Au deuxième jour, il y a un peu plus de monde, l’occasion de voir que les vins du Languedoc, de Bordeaux et de Loire ont une grande réussite dans les autres halls de Wine Paris. Les chariots qui amènent les verres à vin forment un balai infernal de tintements. Un stand de dégustation en libre accès avec des centaines de bouteilles, n’a cependant attiré qu’une dizaine de curieux, une forte odeur d’alcool en émane. Un vin estampillé le Chat de Gelluck, et du vin en canette attirent l’œil des acheteurs, derrière sa vitrine.

La curiosité reste ce moine déambulant au pas de course avec ses sandales, entre les stands, toujours une bouteille à la main. De retour sur le stand de Christophe, les choses ne vont pas mieux, il discute avec un collègue du marché suisse et des crus bourgeois. Son voisin, propriétaire d’un domaine du Languedoc, regarde des vidéos YouTube pour passer le temps. En l’occurence Casey Neistat, blogueur américain qui teste un vol en business class. Message subliminal ? Envie d’ailleurs ? Le hall dédié au vin bio et aux autres spiritueux intitulé « Wow » reste vide, si vide que l’on pourrait faire une course de karting dans les allées. Les grandes marques, telles que Coca Cola, ne parviennent à offrir ne serait-ce qu’un breuvage à un visiteur.

« Finalement ce ne sont que des exposants qui se baladent, je serai plus productif et ferai plus de ventes si j’étais à mon bureau » me lance d’un air dépité Christophe.
Il est vrai qu’avec ses six mètres carrés son stand ne fait pas le poids face aux grandes maisons de champagne, qui en comptent quarante. Pour essayer d’attirer le regard, la maison Moët a fait de son stand un cube de liège, dégageant un parfum agréable. A l’intérieur des conférences sur le thème du vin ont lieu, avec des invités comme Alain Ducasse. Quand on sait qu’un mètre carré de stand coûte mille euros, c’est une goutte d’eau pour ces grandes maisons, un investissement pour Christophe. Il compte sur son expérience et ses bouteilles d’Anjou blanc et rouge 2018, pour se faire de nouveaux clients. Au niveau des acheteurs, il y a deux écoles, ceux avec leur mallette et leur agenda, qui recrachent le vin après dégustation. Et il y a ceux qui viennent seulement pour discuter et qui ne recrachent pas. A terme, leur visage devient aussi rouge que du Pinot noir, à force de déambuler entre les stands.
Au matin du troisième jour Christophe découvre une note de l’organisateur « Les exposants ne dégarniront pas leur stand et ne retireront aucun de leur article avant la fin du salon ».
Son voisin s’approche de lui et lance avec son accent rocailleux du midi: « Il n’y a personne, le matin on me badge deux fois…ils vont encore annoncer des records d’affluence (rires) »
Il est vrai que pour mon reportage, je me baladais entre les halls, et on m’a badgé plus d’une vingtaine de fois. Ma présence sur les trois jours a été comptabilisée comme vingt visiteurs. Si l’on compte les exposants qui sortent au moins une fois par jour pour aller manger, un exposant est compté comme six visiteurs sur les trois jours. Si l’on s’en tient à cette hypothèse, il y a deux fois de visiteurs qu’annoncé:
« Leur machine ne compte pas les visiteurs uniques, c’est fait exprès » m’explique Christophe.
Durant cette ultime journée, il va même s’absenter pendant deux heures de son stand, en profitant pour errer entre les allées avec son plus important client, le représentant de Leclerc: « Regarde comme les exposants se transforment devant lui, ils sont aux petits soins ». Il m’explique que sur le stand italien de la Villa Minelli, propriété du groupe Benetton, ils étaient les deuxièmes visiteurs de la journée à 14h00, les premiers à déguster.

La journée se termine, certains de ses voisins laissent sur place leurs échantillons de bouteille pleines, pour partir léger. Trois jours de fatigue, lié à l’ennui pour Christophe, qui se promet de ne plus revenir comme certains de ses collègues.